Captain Cinéma

Incassable/Sixième Sens de M.Night SHyamalan

Quand on parle de M. Night Shyamalan on pense automatiquement à ces retournements de situation improbables, véritables twists qui remettent en perspective tout ce qui a précédé. On pense à l’intrusion du fantastique dans le réel (ou l’inverse, cf LE VILLAGE), ou au questionnement sur la foi en général. Et si ce qui intéressait Shyamalan dans ces histoires n’était autre que le sujet le plus universel au monde : l’amour ? Que ça soit l’amour d’un fils pour son père, d’une mère pour son fils, d’un mari pour sa femme ou d’un frère pour sa sœur, une grande partie de la filmographie de Shyamalan est centrée sur ce thème indémodable. C’est d’ailleurs ce qui sera au cœur de ce que beaucoup considèrent comme « l’âge d’or » de Shyamalan, à savoir ses films du SIXIEME SENS en 1999 à LE VILLAGE en 2004. C’est SIXIEME SENS et INCASSABLE qui nous intéressent aujourd’hui, deux films qui ont finalement énormément de choses en commun, dont une ou plusieurs séquences dans lesquelles le personnage principal est en froid avec sa femme. Retour sur ces scènes ô combien essentielles.

Incassable

David Dunn, extenué et abasourdi par ce qui vient de lui arriver, monte se coucher. La caméra le suit dans un court panoramique en contre-plongée alors qu’il arrive aux escaliers. C’est Audrey qui est présentée dans le plan suivant. La plongée ainsi que le cadre dans le cadre (l’embrasure de la porte qui les enferme elle et David dans le plan) renforcent le sentiment de malaise ainsi que la distance qui les sépare (on voyait David lâcher la main d’Audrey dans la scène précédente). Elle lui demande comment s’est passé son entretien à New York. Sans même la regarder dans les yeux (le personnage fixe le côté droit du cadre) David lui répond qu’il pense ne pas avoir le poste mais qu’il compte toujours emménager là-bas. Elle lui souhaite une bonne nuit calmement mais sur un ton désabusé, ton qu’il utilise également pour lui rendre la pareille avant de monter.

plan large avec David qui arrive par la droite pour monter l'escalier plan sur Audrey plan sur David plan sur Audrey plan sur David

Les deux conversations suivantes seront filmées en plan-séquence : la première intervient quand David vient frapper à la porte d’Audrey et lui demande s’il a déjà été malade. Les deux sont filmés de profil, ce qui renforce leur complicité malgré le fait qu’ils se parlent encore entre deux pièces différentes. La caméra effectue un travelling avant afin de surligner l’importance de la question de David au fur et à mesure que la conversation avance. Il finit en gros plan, et Audrey également la seconde d’après. L’information donnée par ce court raccord a rapproché les deux.

David commence à parler à Audrey le même plan plus resserré sur David très gros plan sur David très gros plan sur Audrey

La scène d’après voit Audrey frapper à la porte de David pour lui avouer ses sentiments. Encore une fois, une conversation sur le pas d’une porte avec des personnages qui campent sur leur position et un plan-séquence. Sauf que cette fois le plan-séquence en question ne mettra en avant que le monologue d’Audrey (qui fond en larme), David restant silencieux et filmé de dos pour montrer son caractère indécis. Ce n’est qu’à la fin qu’on apercevra pendant un très court instant son visage avec ce regard perdu.

Audrey se tient dans l'embrasure de la porte et parle à David en fondant en larmes La porte est maintenant fermée. David est seul

Plus tard, alors que son fils a manqué de lui tirer dessus, David Dunn part en rendez-vous romantique avec l’ex-amour de sa vie. Les deux sont présentés via un magnifique plan large qui met en valeur leur positionnement ainsi que le décor. Vient alors le moment pour David d’être honnête quand Audrey lui pose une question très personnelle. À partir de ce moment la caméra va opérer un long travelling avant, allant jusqu’à cadrer le couple en plan poitrine. Adieu le serveur ou les autres clients du restaurant : plus personne n’existe à part eux deux. L’heure est aux confidences, les enjeux se resserrent et l’ambiance qui se dégage du plan est tamisée, comme si Shyamalan voulait nous conforter dans cette imagerie romantique. Pourtant David reste évasif et incertain et semble ne pas comprendre les raisons de leur échec.

plan d'ensemble du restaurant et de David et Audrey au milieu du cadres le même plan mais la caméra se rapproche la caméra se rapproche encore plus plan rapproché de David et Audrey

Quand ils reviennent à la maison et disent au revoir à la baby-sitter, David et Audrey ont un rapide échange au terme duquel la caméra effectue un travelling arrière qui créé encore plus de distance entre les deux personnages, soit l’effet opposé des séquences précédentes. David a désormais un poste à New York et cette nouvelle le laisse face à un dilemme encore plus grand. Alors qu’Audrey part, monsieur Dunn est enfermé dans le cadre par le pilier de droite et le mur de gauche. On pensait les deux tourtereaux de nouveau réunis après leur rendez-vous romantique, il n’en est rien : David n’a jamais semblé aussi seul et loin de sa femme.

David et Audrey parlent dans l'entre de leur maison le même plan mais la caméra s'est éloigné. David est seul au coin supérieur gauche du cadre

Plan-séquence à nouveau. David emmène sa femme à l’étage afin de la coucher. L’attention est portée sur le regard de cette dernière : elle est admirative, comme si elle avait pris conscience du statut de super-héros de son mari et qu’elle savait ce qui venait de se passer. À la fin de la scène les deux sont réunis dans le lit et dans le même plan. Il a pris sa décision : accepter ses responsabilités, en tant que super-héros, mais aussi en tant que mari. La simplicité de la scène contraste avec ce qui a précédé : point de long plan fixe, de travelling ou de composition recherchée, juste une séquence au procédé de mise en scène simple qui capte les émotions de deux êtres qui se sont cherchés et se retrouvent. Les deux histoires (le super-héros/le mari) ne font plus qu’une, impression renforcée par le court dialogue à double sens (« j’ai fais un mauvais rêve » « c’est terminé »). Fondu au noir.

Audrey est portée par David Audrey regarde David Audrey est au lit et regarde David David est dans les bras d'Audrey dans le lit

Sixième Sens

Malcolm (incarné par Bruce Willis) arrive au restaurant et s’excuse d’être en retard dans un plan d’ensemble. Alors qu’il continue de parler et d’expliquer les raisons de son retard, la caméra se rapproche de lui pour mettre en avant son discours. Ce rapprochement est tel que le personnage finit par être seul dans le cadre, comme s’il parlait à lui-même (sentiment évidemment accentué par le silence de sa femme désormais hors-champ). Ce n’est pas une discussion, juste un homme exprimant ce qui lui passe par la tête. Vient alors la serveuse qui pose l’addition sur la table. La caméra se recentre rapidement sur cet élément afin de capter la tentative de Malcolm de communiquer avec sa femme d’un geste de la main (il veut payer l’addition), tentative qui échoue, sa femme attrapant l’addition en premier. C’est Anna qui est maintenant seule dans le cadre, mais elle ne prononce pas un mot. La caméra recule alors afin de faire rentrer Malcolm par la gauche étant donné qu’il essaye d’établir le dialogue en continuant de parler. Rien n’y fait. Anna murmure un « joyeux anniversaire de mariage » et s’en va, laissant Malcolm seul une nouvelle fois. On voit donc que Shyamalan utilise le traveling avant et arrière au sein d'un même plan afin de jouer avec les attentes du spectateur. Le procédé n'est pas seulement là pour introduire un décor et annoncer la fin d'une scène ; il amène un véritable sentiment de déception pour le spectateur comme pour le personnage principal. Sa valeur est donc ici tout autant scénique que dramaturgique.

Malcolm vient de s'assoir à la table. Plan large. la caméra se rapproche de Malcolm pendant qu'il parle La caméra est maintenant très proche de Malcolm et il est de profil. Malcolm tente de prendre l'addition mais sa femme est plus rapide Anna règle l'addition Anna est partie. Malcolm est seul à la table.

Malcolm rentre chez lui. Il retrouve Anna endormie sur le canapé avec la télé allumée. Il s’assied à côté d’elle et la regarde sans un mot. Commence alors un nouveau dialogue dans lequel Malcolm prononce le nom de sa femme en gros plan. Le contre-champ qui suit nous nous montre Anna répondant « tu me manques ». Les deux ont pour la première fois communiqué, et le plan suivant les réunit dans le cadre un court instant. Alors qu’Anna déclare que Malcolm l’a quitté, ce dernier rétorque que ce n’est pas le cas. La succession de champs / contre-champs donne l’impression que les deux se parlent enfin, mais Anna semble regarder dans la direction opposée dans l’axe, la mise en scène créant une distance en les séparant bel et bien malgré l’apparente complicité qui serait revenue. Quand vient la fameuse bague et le twist qui remet en question tout ce que le spectateur a vu, le personnage s’écroule et la caméra devient tremblotante, loin des plans fixes précédents.

Malcolm vient de s'assoir à la table. Plan large. la caméra se rapproche de Malcolm pendant qu'il parle La caméra est maintenant très proche de Malcolm et il est de profil. Malcolm tente de prendre l'addition mais sa femme est plus rapide

Alors que Malcolm reprend ses esprits et réalise l’ampleur de ce qui lui est arrivé, c’est un plan large qui nous le dévoile plus éloigné que jamais d’elle et enfermé dans le cadre par l’embrasure de la double porte. Le personnage vient de se rendre compte qu’il avait (comme le spectateur) tout faux, et le sentiment de solitude qui pèse sur ses épaules est prégnant. Il n’a jamais été question de son travail durant l’heure et demi qui a précédé. Viennent alors les adieux à sa femme. Cette fois-ci c’est une vraie discussion en champ / contre-champ qui se déroule sous nos yeux, avec Anna qui fait enfin face à Malcolm quand elle lui répond dans l’axe (malgré le fait qu’elle dorme). Malcolm peut enfin partir en paix. La dernière image du film est évidente : le couple a finalement trouvé le moyen de discuter et de se réconcilier, et c’est l’image des deux tourtereaux qui s’embrassent qui conclut le métrage dans un fondu au noir (comme dans INCASSABLE).

plan large de la pièce avec Malcolm au fond dans l'embrasure de la porte gros plan sur Malcolm contre-champ sur Anna plan du couple lors de leur marriage

Il est là le véritable twist de ces films : nous faire croire que ce sont des histoires de fantôme ou de super-héros, alors que non. Depuis le début la réponse est sous nos yeux : ce sont des histoires d’amour. Un couple déchiré par le passé et qui se réconcilie à la fin. Aussi simple que cela puisse paraître, ce retour à des enjeux profondément humains prouve une chose : avant d’être un expert du fantastique ou un petit malin qui aime les twists, Shyamalan est un réalisateur qui a du cœur.