Un film de Guy Ritchie
Sorti en 2004, Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief avait fait impression à sa sortie tout en faisant du metteur en scène français un talent à suivre. Peu de temps après, les Américains achètent les droits du film afin de faire ce qu’ils font de mieux : un remake. Le projet prendra finalement beaucoup plus de temps que prévu, allant de réalisateur en réalisateur avant que Guy Ritchie décide finalement en 2019 de prendre les rênes avec Jason Statham en lead. Sur le papier on est donc de suite sur quelque chose de différent : le fameux « Statham movie ». Pas vraiment la même cantine que le film de 2004 donc, Ritchie étant également à des années lumières du style de Boukhrief. C’est donc avec pas mal d’appréhension qu’on entre dans la salle, les remakes américains de nos chers films franchouillard étant globalement très mauvais depuis maintenant des années (dans le même genre, Sleepless était par exemple un ratage complet).
Si Le Convoyeur avait fait marqué les esprits, c’était d’abord par sa singularité. Le film de Boukhrief était exigeant, loin des productions banales qui pullulent dans le paysage cinématographique français. Le metteur en scène aime montrer les choses plus qu’il n’aime les balancer au spectateur via des lignes de dialogue ; les longs travellings ainsi que les silences faisaient du Convoyeur un film pas facile à appréhender pour le spectateur lambda malgré ses 1h30 bien tassées. C’était au spectateur de recoller les morceaux de ce puzzle narratif, tout en naviguant dans un univers très français. Car Le Convoyeur était un film très ancré dans une culture française, que cela soit dans son ton ou son visuel, dans lequel le metteur en scène refusait toute américanisation de son sujet. Un polar qui sentait bon la France des quartiers merdiques, des zones industrielles moches, des salaires honteux et des collègues insupportables, avec un rythme particulier, très slow burn. Les éclats de violences étaient rares, mais c’était toute cette attente qui faisait que la violence avait du poids.
Guy Ritchie décide très vite de prendre cet aspect à contre-pied avec une intro qui nous met direct dans le bain et surtout de façon beaucoup plus directe et moins mystérieuse. La caméra, placée à l’arrière du fourgon, nous montre l’attaque d’une bande de criminelles et le vol du précieux butin, grosse musique ténébreuse à l’appui. Vient alors « H ». À priori, H est un homme de la classe moyenne tout ce qu’il y a de plus banal, qui ne cherche pas les ennuis. On découvrira plus tard que sa candidature n’était pas anodine et que l’homme s’avère être une tout autre personne. C’est là l’un des gros changements envers l’original. Dans le film de 2004, Albert Dupontel incarnait un homme normal, qui n’avait jamais touché à une arme de sa vie, qui découvrait ce monde en même temps que nous. Un nobody, une personne de tous les jours. Ce n’est pas le cas ici, et si le changement peut au premier abord faire un peu grincer des dents, on se rend vite compte que ce choix fait plutôt sens. Nous faire croire que Dupontel incarne un être humain banal, ça fonctionne, mais nous faire croire que Jason Statham est un gentil voisin tout propre sur lui ne fonctionnerait probablement pas. Cette américanisation du récit apparaît donc finalement assez logique et fait sens compte tenu du casting impliqué. Ritchie dévie donc beaucoup du récit original passé la première demi-heure, et laisse de côté toute l’aspect communautaire des convoyeurs de fonds pour se concentrer sur quelque chose de beaucoup plus criminel. Un parti pris assez payant et globalement bien exécuté, jusqu’à ce que le metteur en scène et ses scénaristes décident d’élargir encore plus le point de vue.
On pense parfois au cinéma de Sheridan ou Craig Zahler (en plus facile d'accès quand même), mais Ritchie fait un faux pas et voulant donner plus d’ampleur à un récit qui n’en méritait pas tant. Avec deux heures au compteur, Un Homme en Colère fait presque trente minutes de plus que son grand frère français, et cela se ressent dans la deuxième partie qui tire parfois en longueur. Vouloir nous montrer un troisième point de vue ne fait au final que rallonger l’intrigue pour pas grand-chose, même si on comprend l’utilité de montrer le personnage de Scott Eastwood (qui est étonnamment parfait dans un rôle de sacré connard). Heureusement, Un Homme en Colère est suffisamment bien exécuté pour qu’on suive le tout avec intérêt, surtout que le ton du film est très noir. Le langage est ordurier (parfois même un peu trop pour rien), la violence fait mal, et le récit est empreint d’une noirceur assez inattendue et jusqu’au-boutiste. Le film de Boukhrief était lui aussi bien nihiliste, et malgré une fin ici plus positive l’ensemble est finalement très peu propice aux blagues ou applaudissement dans un style très différent. C’est donc un petit exploit qu’arrive à faire Ritchie ici : Un Homme en Colère arrive à suffisamment se détacher du film original pour avoir sa propre identité et sans jamais vouloir écraser ou faire la même chose qu’en 2004. Mieux encore, Ritchie met en scène une longue fusillade finale impressionnante, sans effets de style encombrants, débarrassée de tous les tics foireux de mise en scène du réalisateur. Et ça on ne s’y attendait pas non plus.
C’est donc agréablement surpris qu’on ressort de la salle. Non seulement certains changements font sens et fonctionnent, mais le film s’avère très solide voir carrément excellent sur certaines aspects/passages. Il y a un sacré potentiel pour un fabuleux polar criminel dans Un Homme en Colère, potentiel pas toujours très bien exploité mais qui fait surface à plusieurs moments. Au final, on est pas devant un Statham Movie (l’acteur est en retenue, même physiquement vu qu’il ne distribue aucun coup de pied ou coup de poing pendant deux heures) mais un bon film du samedi soir qui fait honneur au Convoyeur. Des remakes aussi réussis de ce genre sont assez rares, surtout s’ils sont réalisés par un metteur en scène qu’on pensait avoir perdu depuis un moment. Une alternative imparfaite, mais aussi intéressante et plaisante qui relève le niveau de la filmographie de Statham et Ritchie. On ne l’avait pas vu venir celle-là.