Captain Cinéma

Un film de Matt Reeves

Garanti sans spoilers

LE blockbuster de ce début d'année est arrivé, avec un changement de cap pour le justicier masqué. Matt Reeves est aux commandes et co-signe le script, et il est entouré d'une équipe technique comme souvent solide et d'un casting tout neuf. Un peu à la manière d'un Joker, The Batman prend une direction assez marquée, limite clivante, et le parti pris de Reeves est tenu du début à la fin ; Ceux qui s'attendent à un gros blockbuster rempli d'action vont faire la tronche, tout le projet de mise en scène de Reeves étant de faire de The Batman un film criminel plus qu'un film de super-héros Hollywoodien de plus.

Une orientation qui peut dérouter, surtout que le metteur en scène n'y va pas avec le dos de la cuillère : presque trois heures au compteur, très peu d'action, et une imagerie qui s'éloigne de tout ce qui a été fait au cinéma concernant Batman par le passé. La magnifique photographie de Greig Fraser (Zero Dark Thirty, Foxcatcher, Rogue One, Dune) sublime une direction artistique de très grande qualité, entre ambiance poisseuse/pluvieuse tout droit sortie de Se7en ou Blade Runner et atmosphère gothique qui lorgne plus du côté des adaptations vidéoludiques, bien loin de l'approche de Nolan très (trop?) fidèle à la réalité. Réalisateur des deux derniers Planètes des Singes, Matt Reeves a de l'idée : chaque apparition de personnage important envoie du pâté (Le Riddler, effrayant premier plan, Batman qui sort de l'ombre tel un Robocop qui serait passé du côté obscur), et la mise en scène se fait discrète mais précise.

Cette approche méticuleuse se marrie évidemment à merveille avec un script qui fait la part belle à une enquête dans son ensemble très plaisante à suivre, même s'il faut avouer que le dernier tiers est plus faible. Comme son précédent film, Matt Reeves démarre sur des chapeaux de roues (formidables premières 15 minutes, la perfection, tout simplement) mais a du mal à assurer sur la longueur, surtout que les trois heures se font inévitablement sentir au bout d'un moment. Cependant, et même si la multiplication de blockbusters interminables est devenu presque un fléau (coucou James Bond), il faut avouer que The Batman a l'avantage niveau script. Peu de scènes sentent le rajout ou l'idée de scénariste pour rallonger le tout de façon artificielle, et même si on aurait pas craché sur un film plus concis (le prochain ?) les trois heures sont finalement plutôt justifiées pour l'ampleur de cette histoire.

Bien loin du playboy incarné par Bale, le Wayne de Pattinson se rapproche plus d'une figure dépressive à la Logan, les éclats de colères en moins. Un parti pris qui déconcerte, c'est indéniable, mais l'acteur fait un excellent boulot avec finalement peu de dialogues. Sans crier au génie ou à la révélation, c'est une performance solide. Là ou Pattinson impressionne c'est en Batman. La (magnifique) machoire carrée de l'acteur et sa présence se voient décuplées lorsqu'il enfile le costume. Et ça tombe bien : Wayne est très peu présent, Reeves préférant s'attarder sur les activités nocturnes du milliardaire. Batman est à l'écran 80% du temps, et Pattinson fait des merveilles sous le masque : charisme impeccable, costume très bien mis en avant, Batman est une énorme réussite, que celà soit quand il doit faire équipe avec Gordon pour trouver des indices ou quand il doit distribuer des patates de forain.

Complémentaires du reste de l'histoire, les scènes d'action sont donc peu nombreuses (vraiment), assez expéditives à part la poursuite centrale, et ne tombent jamais dans le spectaculaire. Plus qu'un cache misère ou d'un manque de talent, c'est là encore le parti pris de Reeves de ne pas s'attarder sur de tels moments. Ce qui ne veut pas dire qu'elles soient mal mises en scène : les bastons sont sèches et rapides, avec un Batman qui en prend parfois plein la tronche mais se relève et avance tel un Mike Tyson enragé (style boxeur évident, très peu de coups de pieds) le tout emballé avec un sens de l'efficacité certain mais paradoxalement presque anti-spectaculaire. La course-poursuite en Batmobile (incroyable introduction du véhicule qui semble sortir tout droit de l'enfer) suit ce même procédé, avec peu de grosse cascades et autres explosions en CGI mais un travail sur l'ambiance (pluie battante, lumière tamisée) et le son qui font toute la différence.

On pourrait discuter longtemps de The Batman, de la façon dont le récit s'articule autour d'un ensemble de personnages tous très bien interprétés, de son ambiance incroyable, de la nouvelle direction prise par l'équipe, et de ces évidents défauts. Le film de Matt Reeves n'a peut-être pas le poid émotionel que ceux de Nolan, plus chaleureux dans son approche et donc beaucoup moins froid et distant, mais c'est précisémment sa singularité qui fait de The Batman un film très intéressant, pas parfait, mais exigeant, et inévitablement passionnant. À voir si le film de Matt Reeves vieillira aussi bien que ses inspirations avouées, à savoir les formidables Se7en et Zodiac de David Fincher.

Ah oui, et Michael Giacchino fait honneur à la saga en signant un score à la fois mystérieux, épique, et forcément inoubliable. Tin-tintin-tin-tin, tintin-tin-tin, tintin-tin-tin !!