Captain Cinéma

Small Axe : Mini-série

Il a fallu attendre seulement deux ans pour que Steve McQueen revienne aux affaires depuis son fabuleux Les Veuves. Deux ans pendant lesquels le réalisateur britannique a concocté un nouveau projet surprenant : une mini-série composée de cinq films aux histoires bien différentes mais qui traitent toutes de faits divers concernant la communauté noire Londonienne et le racisme ambiant de l’époque, la série se déroulant entre 1960 et 1980. Un sujet que le metteur en scène avait plus ou moins abordé avec son 12 Years A Slave et dans une moindre mesure Les Veuves. On est donc en territoire connu vu le passé de McQueen, mais l’originalité du format (chaque film est radicalement différent dans sa mise en scène ou sa durée) a de quoi attiser la curiosité. Cinq films/épisodes plus tard, que reste-t-il de Small Axe ?

Mangrove

mangrove

Mangrove est le premier film de cette anthologie et l’ouvre de belle manière. Le spectateur suit plusieurs personnages qui ont tous participé à une manifestation qui a dégénéré dans la banlieue de Londres après des semaines d’harcèlement par la police. Mangrove c’est ce petit restaurant africain de quartier qui rassemble toute une communauté chaque soir et qui est évidemment mal vu par les autorités locales. Steve McQueen va tout d’abord nous présenter le train-train quotidien de cet endroit si particulier, ses clients, son patron (Frank Crichlow, interprété par un impeccable Shaun Parkes) et ses problèmes de tous les jours. À travers une excellente bande son et sa mise en scène McQueen arrive en peu de scènes à retranscrire cette atmosphère si particulière qui fait qu’après quelques minutes on a l’impression de faire partie de cette communauté d’immigrants qui se bat chaque jour pour vivre et qui garde le sourire malgré les injustices et les nombreuses descentes de la police. Et qu’on ne s’y méprenne pas : Si le réalisateur officie désormais pour la télé (la BBC en l'occurence) il n’a rien perdu de son sens du cadre ou de sa maestria si particulière ; Mangrove et les autres épisodes ont bien été tournés comme des films à part entière, avec une logique de mise en scène dont il a le secret. On retrouve ainsi son goût prononcé pour les longs plans ou même les plans-séquences, et un sens du rythme particulier qui laisse parfois le spectateur devant de longs moments silencieux ou qui rappelle beaucoup le théâtre dans sa scénographie.

mangrove

Passé sa première heure Mangrove se transforme en pur film procédural et on suivra les mésaventures des personnages lors de ce long et pénible procès. Et si McQueen n’a pas le talent d’un Sorkin quand il s’agit de rendre cette partie toujours passionnante il s’en sort néanmoins avec les honneurs. Il y a toujours une scène qui sortira du lot et relancera la machine ou une action qui basculera le rythme plus monotone vers quelque chose de singulier. On pense parfois beaucoup à Hunger avec par exemple ce long plan fixe sur un personnage en colère dans une cellule de prison, ou cette discussion entre deux personnages en plan-séquence parfaitement cadrée. Un premier film très solide donc, qui arrive à éviter le manichéisme bête et méchant (si le policier incarné par le formidable Sam Spruell est une pourriture finie, véritable figure démoniaque qui semble avoir laissé son humanité aux vestiaire il y a bien longtemps, le personnage du juge est par contre bien plus ambigu), et qui malgré quelques maladresses (l’interprétation très maniérée de Letitia Wright sonne parfois très forcée) donne tout de suite envie de voir la suite.

Lovers Rock

lovers rock

Gros changement de ton avec ce deuxième film qui suit un futur couple d’amoureux lors d’une soirée dans une maison du quartier. L’élégant scope a disparu au profit d’un format 1:78 et d’une caméra portée, il y a désormais un lieu unique pendant presque une heure, et l’essentiel de l’histoire se focalise sur cette heureuse rencontre (même s’il y a encore de nombreux personnages secondaires le film apparaît moins choral que Mangrove). Une tranche de vie courte donc, qui parle moins de racisme que de célébration. On est donc dans un registre plus joyeux. Le racisme est ici très peu présent et n’apparaît que lors d’une courte scène. Il est comme relégué au second plan (littéralement), prêt à bondir sur ses proies au moindre faux pas. Cela ne veut pas dire que tout se déroulera comme prévu à l‘intérieur de la fameuse bâtisse, et McQueen n’oublie pas de montrer des recoins beaucoup moins glamours au sein de cette communauté. C’est à peu près tout ce dont parle Lovers Rock pendant plus d’une heure.

Lovers rock

Et c’est bien là la qualité et le défaut de ce deuxième film : ces 1h10 ne sont que ça, une fête entre amis, et le réalisateur mettra la patience du spectateur à très (rude) épreuve à plusieurs reprises, le point culminant de ce choix étant cet interminable a capela de presque dix minutes qui dure, et dure, et dure. Pas énormément de choses à dire sur ce deuxième essai donc, si ce n’est que la tentative du metteur en scène de rendre le tout parfois viscéral et sensitif se heurte vite aux limites du procédé. La caméra épouse les corps qui dansent, se glissent entre les couples qui s’embrassent, se focalise sur une goutte d’eau pour mettre en valeur la chaleur ambiante qui augmente minute après minute. Mais au final ces 1h10 ne racontent pas énormément de choses, et on se retrouve presque avec un ersatz du Climax de Gaspar Noé, le trash et l’absurde en moins. Pas sûr que tout le monde soit réceptif à cet exercice de style salutaire mais finalement un peu vain et parfois pénible dans son extrémisme, un peu comme si McQueen parodiait son propre style jusqu’à l’écœurement.

Red, White and Blue

john boyega

Retour à une narration plus classique avec ce troisième film qui narre l’histoire de Leroy Logan, enfant des quartiers de Londres qui intègre les forces de l’ordre afin de faire bouger les choses et changer les mentalités au sein de la police Londonienne. Il est encore une fois question en grande partie de racisme dans Red, White and Blue, mais si le spectateur peut partir avec des préjugés (et c’est tout à son honneur vu le sujet), Steve McQueen va vite abattre tous nos aprioris. Le metteur en scène évite tous les pièges liés à son sujet (pas de manichéisme facile à l’horizon malgré la gravité des faits) et réussit à rendre tangible la complexité de son propos tout en utilisant la puissance de sa mise en scène pour transmettre une idée ou une émotion. Une scène dans laquelle le père de Leroy l’accompagne en voiture au commissariat est pleine de sens rien qu’avec l’image : les deux sont filmés de dos de l’intérieur de la voiture pour montrer le froid qui règne entre eux (ils ne se parlent plus depuis que Leroy travaillent dans la police), ils n’échangent aucunes paroles, et quand Leroy sort enfin du véhicule c’est tout un suspense qui s’installe sur l’action ou l’inaction du père. L’utilisation du plan-séquence, des silences, de la profondeur de champ et de la musique d’Al Green (il y a une vraie nostalgie qui opère par son biais) confère une plus-value dont seul un réalisateur de la trempe de McQueen a le secret. Et ça sera le cas pour la totalité du film : chaque scène contiendra une idée de mise en scène et une idée scénaristique qui propulsera la dramaturgie vers des cimes inespérées, conférant au film une efficacité qu’on ne soupçonnait pas avant d’avoir appuyé sur lecture.

l'intérieur d'une voiture

John Boyega (formidable du début à la fin) trouve sans hésitation le rôle de sa carrière avec ce personnage tiraillé entre sa volonté de changer les choses mais qui se heurte constamment à un mur de préjugés et d’injustices en tous genres. Les scènes fortes s’enchaînent à un rythme soutenu, et McQueen remet constamment en question les fondements mêmes de ce combat. Si Mangrove rappelait Hunger, Red White and Blue se rapprocherait plus des Veuves par la rigueur de son écriture et sa capacité à rassembler énormément de thèmes avec peu de choses. On a l’impression de regarder un film qui parle de tellement de choses de façon brillante, qu’en 1h15 McQueen condense tout ce qui fait normalement la qualité d’une fresque épique de trois heures. L’intelligence de l’écriture fait qu’on a jamais l’impression qu’un problème se résout en une facilité scénaristique. Au contraire : chaque fois qu’une problématique semble se résoudre, une autre apparaît, montrant la complexité dudit questionnement. Est-ce bien la peine d’essayer ? Le final, d’une noirceur et d’une tristesse absolue, achève le spectateur d’un coup de massue en pleine face. Longtemps après visionnage Red, White and Blue hante encore. La marque d’un grand film qui trône sans mal au sommet de la filmographie de son réalisateur.

Alex Wheatle

alex wheatle

Nouveau film consacré cette fois à Alex Wheatle, célèbre écrivain qui a passé la majorité de son enfance de foyer en foyer et de famille d’accueil en famille d’accueil avant de finalement trouver un sens de la communauté et un sentiment de chez-soi à Brixton à la fin des années 70. Un nouveau chapitre autobiographique donc, qui se rapproche plus de Red, White and Blue par son style de mise en scène, mais qui pose la question de l’identité au sein d’une communauté de façon différente. En effet, si Leroy Logan cherchait un semblant d’équilibre dans le système pour que plusieurs communautés puissent cohabiter, Alex Wheatle cherche quant à lui ce qui le définit même en tant que personne : sa propre identité. On est donc dans un registre beaucoup plus classique qui s’autorise moins de sorties de piste et d’éclats de génie, mais qui contient néanmoins le sens de l’ambiance de McQueen. Par sa direction artistique encore une fois impeccable, son casting parfait et sa mise en scène millimétrée, le réalisateur dépeint un microcosme qui va lentement donner envie à Wheatle de se battre pour des valeurs qu’il a jusqu’ici vécues mais jamais vraiment comprises. C’est toute cette énergie qui passe par l’image (et beaucoup par le son, la musicalité des dialogues ou même la bande-originale) qui rend Wheatle attachant du début à la fin et nous emmène dans cette histoire touchante et encore une fois puissante.

Education

Education

Changement totale d’ambiance pour ce dernier film de la collection Small Axe, avec ce voyage au cœur de l’enfance de Kingsley Smith, garçon de douze ans passionné par les étoiles et qui rêve de devenir astronaute. Seulement voilà, Kingsley a des difficultés à lire, ce qui poussera son école à le faire changer d’établissement, un nouvel endroit où l’éducation d’enfants « spéciaux » se fait de manière totalement désorganisée. Les parents vont petit à petit comprendre cette spirale injuste dans laquelle leur fils s’est retrouvé et se battre pour offrir la meilleure éducation possible au garçon. Un sujet encore une fois fort, mais non sans humour ; les séquences absurdes font presque respirer le récit et feraient presque oublier la gravité de la situation. Visuellement on est dans un registre très différent des précédents films : le format 1.66 et la mise en scène sur le vif, très documentaire avec sa caméra portée et ses successions de gros plans, nous entraîne dans la vie de Kingsley dès les première seconde. Ce point de vue plus restreint, très intime et plus « petit », confère à Education une identité très singulière et surprenante pour un dernière tour de piste, mais la pertinence de l’histoire en tant que conclusion apparaît évidente, comme une façon d’exprimer la proximité du sujet, plus que jamais d’actualité. Ce n’est pas un hasard si la famille de Kingsley met un certain temps à se rendre compte de la supercherie, cette ségrégation injuste qui enferme leur fils dans un système parallèle voué à l’échec. La conclusion du film a quelque chose de presque décevant, mais reflète parfaitement le parcours de notre société ; le combat vient de commencer, tout reste à faire, seul les rêves restent. Nous en sommes arrivés là, où devons-nous aller maintenant ? McQueen n’a peut-être pas les réponses, mais les questions qu’ils posent sont aussi pertinentes que passionnantes à regarder à l'écran.