Captain Cinéma

Révélations de Michael Mann

Quand on parle de Michael Mann, on a très souvent tendance à évoquer Heat. Quoi de plus normal ? Le film culte du réalisateur étant considéré comme le sommet de sa carrière par bien des cinéphiles. Si les qualités de Heat sont indéniables et sa réputation amplement méritée, n’oublions pas les autres films majeurs de sa filmographie, à commencer par Révélations. Sorti en 1999, le film opère une rupture majeure avec Heat et bien d’autres films du metteur en scène, cantonné bien souvent au statut de réalisateur de polar. A 72 ans, il prouve encore cette année avec Hacker (malheureusement boudé en salle), que ses six années d'absences n’ont pas eu raison de son talent. Révélation était un film procédurier qui se faisait un malin plaisir à distiller un sentiment de paranoïa tout du long, à travers le chemin de croix parcouru par le docteur Wigand, (Russel Crowe). Ce sentiment de paranoïa se déclenchera à la fin de la première demi-heure du film, dans ce qui reste une des scènes les plus marquantes de la filmographie de Mann. Cette fameuse scène est introduite par une autre très courte, se déroulant dans le hall de la société Williamson and Brown, dans laquelle Wigand à rendez-vous pour une raison qui lui est encore inconnue (le personnage s’est fait précédemment virer de son poste). Nous le retrouvons donc dans le hall, assis tout au fond de la salle alors que des employés marchent au premier plan, le rendant difficilement discernable. Le bruit très insistant de l’aspirateur rend sa présence encore plus difficile dans le cadre, et alors que nous passons à un gros plan sur le personnage qui a l’air stressé et perdu dans ses pensées malgré le bruit ambiant, il est "interrompu" par un policier lui annonçant qu’il peut monter. Le contre-champ sur la sécurité et le policier est oppressant. Le visage de celui-ci étant plongé dans la lumière, il à l’air de dévisager Wigand et annonce clairement la couleur de ce qui va suivre.

plan large du hall avec Wigan au fond de la pièce gros plan sur Wigan contre-champ sur le policier et l'agent de sécurité

La fameuse scène commence alors. Elle est annoncée par un gros plan sur Mr Sandefur (un des PDG de Brown & Williamson), interprété par Michael Gambon. Sauf qu’à contrario de la scène précédente, sa présence se fait dans le silence le plus complet, le personnage travaillant apparemment d’arrache pied et semblant imperturbable. Wigand entre alors dans le cadre en contre champ et s’avance, mais est flouté par la profondeur de champ, Sandefur quant à lui, restant en amorce et net. Le personnage vient à peine d’apparaître et ne prend qu’une infime partie du cadre, mais il demeure supérieur à Wigand, qui navigue littéralement à vue même quand il se rapproche.

gros plan sur Sandefur Plan large avec Sandefur en amorce et l'arrière plan flouté

Le plan qui suit est terrifiant. Alors que Wigand s’approche du bureau et s’assied en jetant un rapide coup d’œil derrière lui, la caméra opère un léger mouvement descendant, dévoilant dans son plan large deux personnes assises de chaque côté du cadre et donc, de Wigan. Les visages cachés par le cadre. Wigand vient à peine d’entrer dans la pièce que le piège se referme déjà sur lui. À cela s’ajoute une pique ironique de Sandefur, déclarant à propos du document qu’il remplit « le reste de ma journée va y passer ».

plan large sur Wigand debout le même plan large sur Wigand mais assis et entouré par des personnes

La conversation s’engage alors. Après une rapide question sur son activité en tant que golfeur, Sandefur se met ensuite à s’adresser à un des hommes mystérieux, en parlant de Wigand à la troisième personne. Quand la conversation revient sur les deux protagonistes un contre champ s’opère, dans lequel Wigand prend moins de place lors de ses réponses. La tirade sur le golf se termine par un insert sur la main du PDG jouant avec son stylo, et Wigand lui répliquant qu’il préfère « jouer » plutôt que de parler. Il prend alors plus de place de par son assurance, et le contre champ sur son adversaire change complètement la donne, celui ci passant d’un gros plan à un plan rapproché, soit tout l’inverse d’avant, Wigand étant cette fois en amorce. Le rapport de force a changé, Wigand ne se laisse plus faire et compte prendre les devants.

champ sur Wigand contre-champ sur Sandefur gros plan sur la main de Sandefur champ sur Wigand contre-champ sur Sandefur

Sandefur se met alors à reparler de Wigand à la troisième personne à l’homme derrière lui (alors hors champ) et Wigand repasse lui aussi à un plan américain, reperdant ainsi du pouvoir dans la conversation (il est exclu de la conversation alors qu’on parle de lui en face). Quand il se remet à lui parler directement, lui annonçant indirectement qu’il avait brisé sa promesse et qu’il pourrait en subir les conséquences, les deux hommes sont à niveaux égaux de nouveau le temps de 2/3 plans. Et quand la fameuse question « c’est une menace ? » est lancé par Wigand, Mann opère alors un mouvement de caméra faisant passer Wigand en amorce de la droite à la gauche. Sandefur continue de lui parler de confidentialité, et implique indirectement (encore une fois) sa famille. Le plan qui s’ensuit sur Wigand dévoile alors un des hommes postés derrière lui dans la salle, le regardant en silence d’un air supérieur. La menace se fait alors encore plus présente.

plan sur Wigand contre-champ sur Sandefur le même plan avec changement d'axe et Sandefur à droite contre-champ sur Wigand et un homme silencieusement assis derrière lui

Wigan contre attaque alors par un ricanement sur le mot « recherche » employé par son adversaire et lui reproche de ne même pas savoir exactement ce qui fait bouillir de l’eau. Cette réflexion aura pour effet de faire réagir son opposant (ce qui justifiera le retour au gros plan), lui répondant que « les chercheur sont fait pour ça ». Wigand s’explique alors sur ses motivations et déclare ne pas vouloir briser ses promesses de confidentialité vis à vis de son entreprise. Sandefur ne le regarde plus dans les yeux, et semble ne même plus l'écouter. Un insert sur un document inconnu intervient et casse le dialogue entre les deux. Sandefur annonce alors qu’ils ont ajoutés des éléments à cette fameuse close de confidentialité.

gros plan sur Sandefur contre-champ sur Wigand gros plan sur la main de Sandefur qui tient un document

Wigand refuse de signer ce papier. L’homme assis derrière-lui se met alors à la surprise générale à parler et lui annonce froidement que sa retraite ainsi que toutes ses aides concernant sa famille (sa fille étant malade) seraient alors annulées si il osait agir contre la société. Le contre champ sur Wigand est un très gros plan le montrant à la fois effrayé et énervé. Les enjeux, tout comme le cadre, viennent tout d’un coup de se faire plus important.

l'homme derrière Wigand se met à parler très gros plan sur Wigand, furieux

La fin de la conversation se fera en champ contre champ entre Wigand et Sandefur, le premier s’énervant au point de lancer un « allez vous faire foutre » avant de s’en aller furieux. La conclusion de la scène se déroulera par le biais de plusieurs plans larges, suivit d’un ultime gros plan sur Sandefur annonçant en ricanant « je pense qu’il a compris le message », comme pour annoncer et donner du poids aux ennuies qui attendent Wigand. Et c’est peu dire, tant le personnage se verra harceler dès la scène d’après sur son lieu de loisir (un terrain de golf donc).

plan sur Wigand, furieux Wigand part, laissant Sandefur seul assis à son bureau l'homme qui était derrière Wigand parle à Sandefur après le départ de Wigand gros plan sur Sandefur qui sourit

Cette scène est un énorme tournant dans le métrage, dans sa façon d’annoncer les enjeux futurs et en poussant le personnage à agir par la suite. Elle est littéralement le point de départ terrifiant de la descente aux enfers de Wigand. Et c’est également un grand moment de mise en scène de la part de Mann. Par le biais des images, de la place des personnages dans le cadre et d'un découpage minutieux le metteur en scène de HEAT frappe un grand coup. Un grand moment de cinéma pour un des sommets de la carrière du réalisateur, à n'en point douter.

La scène dans son intégralité en vidéo :