Captain Cinéma

Un film de Joe et Anthony Russo

Si la plupart des longs métrages de la Marvel ont vu leur qualité décroître au fil des suites, il reste une (future) trilogie qui a connu un bon qualitatif entre le premier opus, déjà excellent, et le deuxième. En 2011 sort CAPTAIN AMERICA : THE FIRST AVENGER. Le film est une excellente surprise : nanti d’une direction artistique rafraîchissante, d’un Chris Evans parfait et d’un scénario solide, il reçoit un accueil critique favorable. En effet, la superproduction de Joe Johnston arrivait à rendre sa partie begins passionnante, en faisant de la caractérisation de Steve Rogers un point d’ancrage puissant, tout en lui opposant un grand méchant de qualité en la personne de Crâne Rouge. Les quelques défauts (scènes d’action pas toujours à la hauteur par exemple) étaient balayés par l’engouement général, et on attendait avec impatience les prochaines aventures de Captain America. Si la critique était positive, les résultats au box office étaient cependant loin d’atteindre les cimes des autres films de la firme. Sans parler de déception (370 millions de dollars de recettes) on peut sans trop de risques affirmer que Marvel s’attendait à mieux. Mais c’est bien évidemment AVENGERS qui aura grandement aidé à faire grandir la popularité de Captain America au cinéma. Succès colossal au box office, le film de Joss Whedon permet au héros au bouclier de se mettre un peu plus en avant, et dans la foulée le deuxième opus de sa saga dédiée est lancé en production. Les intentions sont différentes : changement de réalisateur(s), changement de ton et d’univers. Les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely sont toujours à la barre et décident d’adapter le run de Ed Brubaker qui contient certaines des meilleures histoires de Captain America.

Steve Rogers fait du jogging à Washington

L’histoire de CAPTAIN AMERICA : LE SOLDAT DE L’HIVER reprend peu après son réveil à notre époque à la fin du premier volet. Il faut très peu de temps aux réalisateurs Anthony et Joe Russo pour nous mettre dans le bain : alors que le film a commencé depuis cinq minutes, ils affichent leurs ambitions d’entrée de jeu à travers une scène d’infiltration et de combat d’une redoutable efficacité. L’approche des affrontements depuis le premier opus a changé, et le Captain est désormais un expert du combat rapproché tendance krav maga. Des chorégraphies plus dans l’ère du temps donc, qui n’hésitent pas à faire appel aux armes blanches le temps de deux trois combats au couteau mémorables. C’est probablement la plus grosse surprise du film : alors que personne ne les attendait sur ce terrain, les Frères Russo se révèlent être d’excellent techniciens emballant des scènes d’action percutantes qui contiennent plus d’idées que tous les autres films Marvel réunis. CAPTAIN AMERICA : LE SOLDAT DE L’HIVER était le premier film d’action à gros budget des deux metteurs en scène originaires du monde de la télé (les séries COMMUNITY et ARRESTED DEVELLOPMENT). La transition entre des séries ou films humoristiques (le pas très bon TOI, MOI … ET DUPREE) et un blockbuster à 170 millions de dollars avait de quoi inquiéter, mais ces inquiétudes sont vite balayées passée la première demi-heure. Faisant preuve d’idées scéniques originales et d’un sens du découpage infaillible, ils réussissent là ou Joe Johnston avait (partiellement) échoué.

Steve Rogers au musée Captain America

Prenons par exemple la poursuite en voiture avec Nick Fury. Si cette scène est si bonne et fonctionne, c’est parce qu’elle se permet des ruptures de rythme rappelant le Brad Bird de MISSION IMPOSSIBLE : PROTOCOLE FANTÔME. Dans les deux cas le héros est piégé par les éléments, et marque une pause dans l’action avant de repartir. En effet, la poursuite s’ouvre par un affrontement … statique ! Piégé dans son véhicule, Fury tente tant bien que mal de se sortir du pétrin dans lequel il est embarqué, et une fois que l’action s’emballe, elle est aussitôt ralentie par un embouteillage. La course s’effectue alors autant en voiture qu’à pied, les poursuivants sortant de leurs véhicules afin de chasser Fury à travers le trafic, avant de repartir pour une dernière ligne droite à pleine vitesse. À l’écriture maligne de ces scènes se superpose une réalisation qui a tout compris au genre : caméra au ras du sol, long plans faisant le lien entre plusieurs véhicules, gestion de l’espace exemplaire, cascades qui font mal … chaque morceau de bravoure du film (et il y en a un paquet) est un régal pour les amateurs d’action. Alors que depuis des années de nombreux réalisateurs ont tenté tant bien que mal de singer le style de Paul Greengrass (la trilogie JASON BOURNE), les frères Russo remettent les pendules à l’heure et montrent qu’il est possible d’avoir une mise en scène nerveuse sans tomber dans la bouillie visuelle qui fait fi de tout repères géographiques. Le combat dans l’ascenseur est une preuve irréfutable de la capacité des deux réalisateurs à gérer une scène d’action comportant un nombre important de plans avec beaucoup de personnages, le tout dans un espace restreint (et puis on a vu pire comme référence que DIE HARD 3). Surtout ils arrivent à faire preuve d’une chose qui manque pas mal aux films Marvel aujourd’hui : un vrai point de vue au niveau de la mise en scène. S’ils doivent filmer un combat incluant un combattant de MMA adepte du coup de pied et un autre contre le Soldat de l’hiver incluant diverses armes, ils ne le feront pas de la même façon : grand angle et plans d’ensemble pour le premier, là ou le deuxième sera filmé caméra à l’épaule et de plus près sans jamais mettre à mal la chorégraphie.

Captain America bloquant un coup de poing avec son bouclier

"Ces séquences étaient vraiment celles qui nous excitaient le plus, car une de nos plus grosses requêtes transmises à Kevin (Feige), et une des choses qui nous attiraient réellement à propos du film, était la possibilité de venir avec un nouveau point de vue spécifique à la partie action. Le rendu est très nerveux et réaliste. Il y a quelques poursuites en voiture qui sont très influencées par les poursuites des 70’s comme POLICE FÉDÉRAL LOS ANGELES. Je suis un grand fan de RONIN, je trouve ce film génial. Je pense que John Frankenheimer en a remontré à tout le monde malgré ses 80 ans [...] Je penses que RONIN est peut être la plus grande influence sur la partie voiture du film : le travail sur le son qu’il a fait dessus, l’agressivité du travail sur la caméra, à quel point elles pourraient êtres près des voitures, les caméras qui furent détruites par ce processus … ce genre de trucs. Nous avons donc apporté une approche très rentre dedans, une version extrêmement réaliste de ce qu’un film de super héros peut être au niveau de l’action." Joe Russo pour Collider

Captain America dans un ascenseur, ses agresseurs au sol

On l’aura compris ce deuxième opus renverse les attentes du spectateur ayant vu le premier, et s’aventure désormais vers le thriller paranoïaque et les films d’espionnage. Comme tout bon thriller, CAPTAIN AMERICA : LE SOLDAT DE L’HIVER disperse ses nombreux twists de façon régulière, et comporte son lot de personnages jouant double jeu. On ne va pas se mentir, tous les rebondissements du métrage ne font pas bondir du fauteuil et sont parfois téléphonés (tiens, untel est un traître, quelle surprise !), mais ils permettent à la machine de se remettre régulièrement en marche et d’assurer au film un rythme très soutenu. Et surtout, à mi-parcours, le film se permet un vrai twist qui remet en question tout ce que le spectateur a vu dans les anciens films Marvel, rien que ça. En ce sens ce SOLDAT DE L’HIVER se rapproche du STAR TREK : INTO DARKNESS de JJ Abrams dans la façon dont le héros remet en question la hiérarchie dont il fait partie, et dans cet éternel mystère qui habite le film dès le début et qui n’est pas dévoilé à la fin du métrage, mais qui maintient l’intérêt pendant les premières bobines. Du coup il n’est pas anodin de voir le héros avancer pendant une partie du film sans son costume, symbole d’une Amérique qui avance à découvert alors que son administration, elle, agit dans l’ombre. C’est là une des grandes forces de ce deuxième opus : placer l’intrigue dans un monde post 9/11 et confronter l’idéalisme de Rogers aux dilemmes moraux propres à cette période. Qu’on ne s’y méprenne guère : l’intention est loin d’être originale (les blockbusters utilisant l’imagerie post-9/11 sont légion cf BATMAN V SUPERMAN très récemment), mais le travail d’adaptation est ici exemplaire. Pour preuve le retour d’un personnage important du premier film, qui voit son physique changer complètement et embrasse les thématiques du cyber-terrorisme tout en restant diablement cohérent avec son équivalent papier.

La Veuve Noire et Steve Rogers face à un miroir

Au-delà du travail d’adaptation imputé à Christopher Markus et Stephen Mcfeely, c’est également la continuité de plusieurs films (AVENGERS et le premier CAPTAIN AMERICA) qui sert de base à ce SOLDAT DE L’HIVER. Cet exercice d’équilibriste est brillamment exécuté (on a jamais l’impression que l’univers Marvel prend le pas sur la narration), et si l’écriture fait la part belle à l’action (c’est un blockbuster, tout de même) elle n’oublie jamais ses personnages en chemin. La Veuve Noire est cette fois régulièrement aux côtés de Steve Rogers, et leur relation est entièrement basée sur les non-dits. Un nouvel arrivant fait son apparition dans l’univers Marvel en la personne du Faucon, incarné par Anthony Mackie. L’acteur s’avère très convaincant dans la peau de ce nouvel associé du Captain, et la relation entre les deux est amenée de façon très naturelle en les liant via leurs passés respectifs. Les échanges entre les deux avant qu’ils ne s’allient dans l’action vont dans ce sens car ils ont chacun perdu un être cher dans l’accomplissement de leur devoir. De la paranoïa de Rogers va naître son association avec ces deux acolytes que sont Natasha et Sam, et l’amitié qui va découler de cette confiance mutuelle. Alors que Natasha demande à Steve : « Qui veux-tu que je sois ? » (elle a endossé de multiples identités par le passé) celui-ci répond le plus simplement du monde : « Pourquoi pas une amie ? ». Loin de jouer le jeu des faux semblants entre les deux pour créer un suspense inutile, les scénaristes utilisent ce fameux ressort du « sur qui peut-on compter ? » afin de créer des liens entre des êtres qui sont hors de ce monde et hors du temps. La Veuve Noire devient donc bien plus qu’un simple sidekick et gagne ainsi en profondeur.

Captain America dans un ascenseur, encerclé par ses futurs aggresseurs

"Cap’ est pour nous l’équivalent de Rocky : c’est un personnage très sain par rapport à son code de conduite. Il est très ouvert [...], il ne cache rien. En tant que spectateur, comme dans Rocky, je veux qu’il gagne pour cette raison. J’aime le fait qu’il est un livre ouvert. Je trouves ça attachant, particulièrement à notre époque, d’avoir un personnage qui ne cache rien, qui dit la vérité et qui voit en la vérité un composant essentiel pour être humain. Le film l’emmène à travers pleins d’étapes; il en prend pleins la tronche, et pour nous c’était important, car plus il se bat pour gagner cela, plus vous voulez qu’il gagne à la fin ou qu’il récolte ce qu’il mérite. C’est en quelque sort la façon dont la relation entre Cap’ et le SHIELD va se passer dans le film." Anthony Russo pour Collider

Captain America au sol, le soldat de l'hiver s'éloignant au loin

C’est là toute la force de cette suite qui a su garder toute l’intégrité du personnage et éviter les fautes de goût qui caractérisent d’autres franchises des studios Marvel. Pas de scènes comiques douteuses à la THOR, pas de pleurnicheries à la IRON MAN qui faisaient passer l’alter ego en costume pour un sidekick de luxe … Rogers est l’archétype du héros bon aux motivations naïves auquel le spectateur s’identifie facilement. Pour autant, et malgré l’aspect plus brut de décoffrage des scènes d’action, les réalisateurs n’oublient pas que Captain America est un super-héros, un vrai, qui peut abattre un avion à lui tout seul, pose iconique à la clé. Un juste équilibre entre une forme de divertissement totalement contemporaine et cette dimension intimiste qui a fait ses preuves dans le premier film, comme en témoigne cette conclusion au cours de laquelle un énorme vaisseau qui s’écrase est relégué hors champ pour mieux se concentrer sur deux meilleurs amis qui se retrouvent le temps de quelques secondes. De la part d’un blockbuster estampillé Marvel ce genre de parti pris fait encore une fois sacrément plaisir, et confirme que la franchise Captain America est définitivement lancée sur de bons rails.